Lo-Fi or not Lo-Fi
Lo-fi (abr. de low-fidelity, « de basse fidélité ») est une expression apparue à la fin des années 80 aux Etats-Unis pour désigner certains groupes ou musiciens underground adoptant des méthodes d’enregistrement primitives pour produire un son « sale », volontairement opposé aux sonorités jugées aseptisées de certaines musiques populaires. L’expression est l’antonyme de hi-fi – abr. de high-fidelity, « de haute fidélité ». (Wiki)
SWEET DREAMS
Un des plus gros tubes de la Pop, « Sweet Dreams » du couple formant Eurythmics (Annie Lennox et Dave Stewart, alors plus en couple mais restés amis très proches), a été enregistré dans des combles de leur petit appartement personnel avec un matériel très sommaire. La légende dit que le petit studio d’enregistrement « home-made » est situé au-dessus d’une usine plutôt bruyante, ce n’est pas la conjecture idéale. Mais l’album a fait un carton plein. D’un autre côté quantité d’albums furent enregistrés avec une débauche de moyens pour un résultat parfois médiocre, on ne citera aucun nom.
Que peut-on en déduire ? Que la prise de son ne fait pas le talent, que c’est l’idée originale du morceau qui prime par rapport à la technique… Oui bien-sûr, cela tombe sous le sens. En tous cas on remarque que déjà à l’époque le « Home-made dans la cuisine » (ou dans les combles) ne signifiait pas forcément que c’était nul au niveau de la qualité sonore, et les exemples ne manquent pas. « Sweet Dreams » a été produit à peu de frais et possède un son tout à fait correct.
A l’heure actuelle de grands noms comme Neil Young par exemple, pour citer les plus jeunes (sic), ne jurent que par une prise de son sans fioritures, il déteste les overdubs. Le canadien préfère un bon micro stéréo pour un « front-sound » bien Rock, ou bien pastoral comme pour les chansons au coin du feu du EP « The Times » de l’époque Covid. Neil est un puriste, ok, il adore le son des Vinyls, ainsi que les petites fausses notes qui nous éloignent de la machine, qui sont des preuves d’humanité. C’est encore une autre facette de cette philosophie anti-tech souvent accompagnée de considérations écolos.
On peut aussi se pencher sur l’effet de mode « Lo-Fi » d’un son bien cradingue pour peut-être refléter une sorte de pureté musicale initiée par le Punk ou encore le Grunge… On adhère ou non au concept (revendication d’une certaine authenticité ou simplement absence de moyens non-assumée ?), le pape en étant R. Stevie Moore, qui se joue des genres et a livré il est vrai quelques pépites ébouriffantes.
https://rsteviemoore.bandcamp.com/
Une petite recette maison sur la table de la cuisine
Voici en passant une recette parmi d’autres pour la conception d’un enregistrement studio actuel à peu de frais. Et si vous le désirez, dans la cuisine. Moi j’aime bien, le frigo n’est pas loin, la fenêtre qui donne sur la rue et la télé qui ronronne ses conneries, j’aime bien.
Étape 1 : l’idée attrapée au vol
A la base de n’importe quelle création musicale il y a l’idée. Celle qui va évidemment vous venir là où il va s’avérer impossible de la noter quelque part, pourquoi pas l’idée d’une mélodie forcément géniale. Le truc le plus bateau c’est sous la douche, mais cela peut-être aussi en pleine nuit alors que vous n’avez pas envie de réveiller votre âme sœur (ah ces matelas qui tressautent au moindre mouvement !), ou encore dans la voiture sur la quatre voies, en pleine orgie hédoniste dans les cabinets, bref… pas facile de ne pas la laisser s’échapper cette idée de fou qui déboule n’importe quand. La solution : un petit enregistreur. A titre d’exemple j’ai depuis longtemps opté pour un « ZOOM H1 Handy Recorder », c’est pas le dernier sorti mais il m’a couté 15 euros d’occasion. L’avantage est qu’il enregistre en stéréo et peut se brancher sur un PC pour en extraire un fichier WAV ou MP3. Tout est numérique, pas de bande, pas de souffle. Cela peut éventuellement servir à enregistrer les ronflements de votre compagne ou compagnon si cela vous chante, c’est très rapide à activer (« P…ain tu ronfles ! »…. « Non c’est pas vrai ! »… « La preuve ! »). Ce genre de petit appareil s’avèrera encore très utile par la suite.
Voilà, on a une idée qui ne risque plus de se perdre dans les limbes du temps.
Etape 2 : le multipiste cool et gratuit
A présent enregistrement du fil conducteur de la mélodie, des overdubs, ect… : compte tenu que non seulement on n’a pas de moyens mais qu’en plus on n’a pas de vie sociale, il faut se débrouiller tout seul avec pas grand chose, ou bien en invitant ponctuellement des potes à venir poser leurs petites papattes sur le grand œuvre sous réserve de rétribution en nature. Le truc c’est, comme pour le premier jet des pages d’un roman, de ne pas corriger les imperfections tout de suite. On pourra jouer avec le copier-coller par la suite.
Il faut :
- un ordinateur portable, genre avec des prises usb et une sortie son.
- Un casque audio pas trop naze.
- Un clavier piano USB pour le signal d’entrée (acheté à Cash…)
- Un logiciel genre ABLETON pour choisir les sons (ça se trouve gratuitement pour qui sait bien chercher)
- Un logiciel d’enregistrement pour capter la sortie stéréo et faire du multipiste (genre « Adobe Audition », anciennement « Cool Edit Pro », ça se trouve aussi, soyez malins)
- Une carte son USB pour capter une guitare pas exemple, avec ses pédales d’effets : par exemple tout simplement une Créative avec entrée Line.
En ce qui me concerne je choisis mon son sur « Ableton Live », ou bien encore avec le logiciel « Polyphone » qui permet de gérer des Soundfonts. Les Soundfonts, autrefois attachées exclusivement aux cartes son Soundblaster, sont a présent utilisables sur n’importe qu’elle carte son car les processeurs de nos ordinateurs sont capables de gérer les fichiers Wav sans faire ramer la machine. Certains Soundfonts sont des boucles, un peu comme l’antique Mellotron, de sons enregistrés sur de vrai instruments de musique, on peut donc utiliser le son d’un vrai grand piano de concert qui n’aura rien de numérique. C’est un peu des Samples, si vous voulez. Le clavier USB branché sur mon ordi portable, je lance mon Adobe Audition en multipiste en réglant le signal d’enregistrement sur « flux stéréo ».
Chaque piste est enregistrée en stéréo, mais les pistes précédentes sont passées à l’écoute sur le canal gauche afin de ne pas se retrouver avec toutes les pistes à chaque overdub : j’enregistre la piste A / Je la balance sur le canal gauche / J’enregistre la piste B qui se retrouve avec la A à gauche et ma nouvelle prise de son à droite / je corrige la piste B en remplaçant la piste gauche par la droite, et je recommence pour la piste suivante… Une petite gymnastique qui demande juste un peu d’apprentissage, essayez de ne pas vomir.
Etape trois : la table de mixage à 1 seule entrée
Au final on a autant de pistes qu’on veut, à retravailler au niveau du son avec les multiples effets du logiciel, à nettoyer bien-sûr (filtre Denoiser, etc…), bref, on a nos prises de son numériques. Idem pour la guitare ou la basse, les instruments que l’on peut enregistrer en passant par la carte son externe et sa prise Line-in (petite astuce : entre l’instrument et l’entrée sur la carte, qu’il faudra paramétrer dans Windows comme Entrée-son, intercaler une pédale d’effet alimentée par une pile 9V. Cela va sortir un signal électrique captable par l’entrée line-in de la carte, ne tentez pas d’utiliser directement l’entré Micro cela ne donnera rien – et le fait d’alimenter par la pile éliminera les interférences style bourdonnements de phase).
A ce moment on chope un petit bout de pain et du fromage dans le frigo.
A présent, pour la voix, ou le tambourin, ou la flûte… on a notre petit ZOOM ! Donc le casque sur les oreilles à la façon d’un DJ, oreille gauche en place et l’autre à côté pour entendre ce qu’on va chanter par exemple, on lance notre enregistrement multipiste, micro à la main, on se fait un signal de calage par rapport au moment ou vous lancer la lecture de l’enregistrement (opter pour le « GO ! », ou encore « Pouet ! c’est pas mal), et c’est parti. On se retrouvera avec des pistes Wav à insérer dans le multipiste. Vous pouvez enregistrer dans la baignoire, pour une reverbe naturelle, ou même dans une église si vous voulez, tout est portable. De fabuleuses expériences à tenter.
Etape quatre : les petites retouches de mastering-maison
La suite c’est du mixage, on peut finir le tout avec un peu de compression, l’essentiel étant de tester par rapport à des morceau de musique dans le même style que ce que vous avez fait, sur plusieurs sorte de matèriel : les enceintes de votre ordi, des écouteurs ou une petite enceinte bluetooth, un chaîne Hi-Fi si cela existe encore, et bien-sûr votre auto-radio (le test ultime). Il y aura certainement quelques corrections d’équalisation à apporter.
Voilà, vous avez le premier morceau de votre album… « Lo-Fi » ? Et bien non, justement, même pas « Lo-Fi », puisqu’on est resté en numérique et qu’on a pu nettoyer le son. Vous vous retrouvez avec des pistes où lors des silences il est possible d’entendre une mouche soupirer. Il faut avouer que cette méthode, parmi d’autres, est idéale pour de la musique de chambre à peu de frais, mais pas pour capter un groupe de musique progressive. Mais combien de fois on entend des trucs passer à la radio qui ont couté des milliers d’euros en production alors que…
Les Zicos surproduits
Je me souviens de discussions avec un Zicos semi-pro, par rapport à l’aspect technique de la musique. Genre « moi je vais dans un vrai studio, la table de mixage de Ouf, là c’est du sérieux on bricole pas, des PROS, ouai mec je te dis des vrais PROS »… Le type enregistrait juste une chanson guitare-voix augmentée d’une petite nappe de claviers. Un studio avait facturé la séance un certain prix… mais ça valait forcément le coup, puisque c’était un studio « Pro » ! Il est reparti avec sa petite cassette, ou son petit CD, aujourd’hui sa petite clé USB. Il était content content.
Ne nous laissons pas aller au dénigrement, c’est vilain. Mais bon… Un studio pro, ce n’est rien de plus que des Ordis avec des programmes qui ressemblent à ceux cités précédemment dans cet article, agrémentés de grosses tables de mixage pour ne pas tout faire à la souris, et surtout de plein d’entrées line qui n’ont de pertinence que si on les utilise. Ne vous faites pas avoir.
Et d’ailleurs, ne soyons pas médisants. N’allons pas jusqu’à dire que les derniers albums de Jean-Michel Jarre ont un son qui me fait saigner les oreilles, et pourtant n’est-il pas le chantre de la Hi-Fi ? Jean-Michel peux-tu considérer que nous n’avons pas tous des systèmes d’écoute 8D à 20000 euros ? Pourquoi tes premiers albums ont souvent un son 10 fois meilleur ? Pourquoi certains titres de Coldplay sont-ils surproduits et ressemblent à de la bouillie tellement la stéréo est mal gérée ? N’allons pas non plus fustiger l’attitude snobinarde des parrains de la musique qui étalent leur fric au lieu de faire preuve d’inspiration (ou qui répètent ad-nauseam des clones de leurs premiers tubes), non non non ne soyons pas revanchards.
Low-cost is not Lo-fi
Donc à présent « Low-cost » n’est plus synonyme de « Low-Quality ». Il est ainsi quantité de petits miracles qui sortent du lot, et il y en aura de plus en plus dans la sphère grandissante des auto-produits. De la musique pas forcément engendrée par des APPLE à Pro-Tools et des tables de mixages pour millionnaires. Et au moment d’avouer comment cela a été fait, peut-être certains auront-ils la tentation de mentir en affirmant que tout a été enregistré dans un studio pro. Juste pour éviter d’être blacklistés ! La cuisine c’est très mal vu, mais il n’est pas exclu qu’il y ait également bientôt un effet de mode, car heureusement le monde de la musique change, les vieilles mentalités s’essoufflent. On pourrait presque dire que la production musicale se démocratise. On entend souvent parler d’artistes qui ont enregistré un titre qui cartonne « dans leur chambre » (en Electro par exemple). Cela semble être un exploit ou encore la marque du génie. L’ancienne « Lo-fi » de R. Steevie Moore est devenue s’est transformée en mode bobo qui reflète un passé révolu : taper ça dans un moteur de recherche et vous verrez bien. Cela ne m’étonnerait pas qu’on rajoute artificiellement du souffle et des imperfections sur des morceaux pour donner un caché collant à l’étiquette Lo-Fi (ce qui fait penser aux craquements de vinyles largement utilisés dans la Soul).
Et pour bien souligner que le meilleur est encore à venir et que nous vivons une époque formidable, nous allons vous présenter dans un prochain article le groupe français (et rochelais) THE BIG IDEA qui ont pris la mer le 6 octobre 2021 au départ de La Rochelle, dans le but de traverser l’atlantique tout en enregistrant leur prochain album avec les moyens du bord : un ordinateur portable dédié à l’enregistrement, une carte son, une guitare, une basse, un synthétiseur et quelques micros spécialisés.
Le premier Rita Mitsouko a été enregistré en 4 pistes si je ne me trompe pas.
ah bon ? Je ne savais pas