Jehro en-chante le monde

Jehro en-chante le monde

Au Nice Jazz Festival 2006, Jehro est venu présenter son deuxième album où il emprunte aux musiques chaloupées toute leur chaleur et leur émotion.

Après son concert aux Arènes de Cimiez, Jérôme Cotta, dit Jehro, montrait autant de chaleur qu’il en montre dans sa musique, rendant le tutoiement obligatoire. Vous imaginez Master Blaster de Stevie Wonder repris en reggae acoustique? Alors vous êtes déjà rentré dans l’univers de Jehro. Le voyage peut commencer.

Bonsoir Jérôme. Tu es le dernier artiste que je rencontre lors de ce festival et le seul français après une majorité d’américains. Or, tu chantes en anglais et un peu en espagnol! Avec les quotas de chanson française dans les médias, comment ton projet a-t-il été accueilli?
Mon précédent album, qui lui était en français, date de 1999. Pour signer celui-ci, le chemin a été long ce qui donne une indication de la façon dont les maisons de disque l’ont accueilli. Mais depuis le début il y a une résonance positive autour du projet, ça m’a presque étonné. Radio Nova nous a programmé dès les premières maquettes et des gens sont venus nous proposer leur aide. Mais finalement, c’est sur scène que ça se passe et l’accueil du public est vraiment formidable. Le show est plutôt feutré mais je sens les gens très réceptifs et la langue n’a pas l’air de leur poser problème. On a tous écouté des chansons en anglais qu’on ne comprenait pas mais dont la mélodie nous parlait et nous renvoyait à une émotion. Donc pour l’instant tout se passe bien. J’espère juste éviter le matraquage radio! (rires)

Est-ce que tu peux présenter les deux musiciens qui sont avec toi sur scène?
Jean M’ba est à la guitare, aux chœurs et à l’octaveur qui lui permet de créer des basses à partir d’une pédale. Julien Tekeyan est à la batterie, aux percussions et aux boucles. Et il y a une quatrième personne qui est importante mais qu’on ne présente jamais, c’est Anthony Court au son avec qui on travaille depuis un moment.

« J’aime la nostalgie souriante des musiques du Brésil et du Cap Vert »

Le jeu de M’ba est très caribéen et, au moment de son solo, Julien part en zouk!
Les musiciens ont aussi leur liberté. Pour ce qui est du zouk, on l’avait fait tourner ensemble et j’avais aimé le côté énergique. Ca tranche avec le reste du concert qui assez feutré. Pour ce qui est du calypso, de la musique des caraïbes, ça fait partie des influences revendiquées. Stanley Beckford fait partie des gens que j’écoute souvent et qui m’inspirent. Il est possible aussi que je reprenne des chansons d’Harry Belafonte dans mes prochains concerts. J’aime bien ce tempo-là car il n’est pas agressif mais il groove, il roule. Et il me convient bien en terme d’énergie.

Je ne sais pas si tu as remarqué mais pendant ton concert, un petit garçon de deux ans est resté scotché à la barrière, refusant que ses parents l’éloignent et mimant la batterie. Est-ce que tu crées ta musique pour qu’elle parle directement aux gens?
Je ne l’ai pas vu, ce garçon! En fait, quand je fais de la musique, ce qui est important, c’est que ça résonne chez moi. La musique ça n’est que ça, de la résonance en fait. En général, tu sens quand les choses se passent bien avec un public parce que le concert tu ne le fais jamais tout seul. Les gens qui viennent me voir ne vont pas pogoter, le travail de l’énergie est différent, mais quand le son passe, ils te le renvoient. C’est comme une émission-réception et à la fin tu sais si l’énergie de la soirée était bonne ou pas. Mais si tu commences à réfléchir à ce que tu fais pendant que tu chantes, ça ne marche pas.

Le fait d’insérer des boucles, sur disque aussi bien qu’en concert, c’est pour donner une couleur?
Oui, la musique électronique amène des choix de matière de son qu’on n’avait pas avant. Jouer totalement roots avec un côté vintage, ça m’intéressait moins que d’essayer de se servir des sons qui nous touchaient sur le moment et de les intégrer au projet. Artistiquement, c’était plus intéressant. Dans Continuando, par exemple, il y  a un son de scie musicale que j’aime beaucoup. Il y a aussi un côté bruitiste parfois parce que je trouve que c’est aussi une sorte de musique. Il y a trois jours on est allé voir un concert de jazz où les gens arrivaient à créer une ambiance avec plein de petits instruments et dans la minute qui suivait, tu te retrouvais au Maroc avec les oiseaux et tout. Dans les prochaines chansons, je travaillerai beaucoup cet univers-là où il y a encore des bruits de vie, de rue, des gens qui parlent. J’aime ce concept où tu as l’impression que la musique fait partie du monde et qu’elle n’est pas séparée du reste.

« Les voyages, je les fais grâce à la world music »

Hier, David Walters jouait ici à Nice. Il est seul sur scène mais il arrive à créer toute une ambiance avec percussions et guitare en improvisant constamment.
Oui, j’ai écouté quelques morceaux à la radio et j’ai trouvé ça vraiment bien. On a le même tourneur mais je ne l’ai jamais rencontré et je n’ai pas encore réussi à le voir sur scène. Récemment, j’ai vu Bumcello au Musilac à Aix-Les-Bains. J’ai trouvé ça vachement bien avec toute cette improvisation à deux. Par contre j’ai raté Toots and the Maytals, j’ai jamais compris pourquoi ils les avaient programmés à 2 heures du matin!

Bumcello sera là demain en fait! A propos d’artistes, quels sont ceux qui t’ont permis de construire cet univers coloré?
Dans le reggae, il y a de vieux trucs comme Bob Marley, Toots and the Maytals, les premiers Jimmy Cliff, les Heptones. Pour la soul music, Stevie Wonder, Marvin Gaye, Otis Redding, James Brown. Ce sont des gens sur lesquels j’ai appris à chanter. Et puis la world music m’a vraiment enrichi aussi, avec Wendo Kolosoy, Rokia Traoré et une grande dame qui est Cesaria Evora. J’écoute aussi du jazz, Billie Holiday, Sinatra, plutôt des chanteurs car je suis sensible aux voix et un peu d’électro mais moins. Les éléments d’électro qu’on retrouve sur le disque, c’est plutôt les gens des Marathonians qui les ont apportés. Mon père était un auteur compositeur rive gauche donc j’ai écouté du français, Ferré, Brel, Brassens, Moustaki, etc. En essayant de touiller tout ça, tu sais pas trop ce qui va sortir et finalement, c’est des chansons.

Est-ce que ces influences font suite à des voyages?
Eh bien, je suis parti en Guadeloupe, au Panama, aux Etats-Unis, dans pas mal de pays d’Europe mais pas en Amérique du Sud, ni en Afrique alors que ce sont des lieux où j’ai emprunté des sons et des musiques. En fait, il y a les vrais voyages et les fantasmés. La world music développe tout un imaginaire en moi: en écoutant des artistes comme Cesaria Evora, j’ai des images, des couleurs, des lieux et même des histoires qui me restent après. Finalement, après des années d’écoute, la boucle va être bouclée puisque qu’avec mon album je vais sans doute retourner dans les lieux sur lesquels j’ai fantasmé.

Les photos de l’album ont été faites où?
C’est une amie photographe qui les a faites. La photo de la pochette a été prise sur un tuc-tuc en Inde. Ca n’était pas forcément le lieu qui me plaisait mais l’impression que l’image donnait. Tout le côté du voyage que j’aime, pas le voyage touriste mais le voyage un peu système D.

« Même si les langues sont différentes, le message est le même »

Tu parles anglais et espagnol couramment?
Je parle bien l’anglais mais je chante l’espagnol mieux que je le parle! Les langues sont aussi pour moi une histoire de phonétique. En tant que chanteur, c’est intéressant de travailler sur des phonétiques différentes, ça donne à ton interprétation des perspectives nouvelles, ça t’enrichit.

Et après ce détour vers d’autres langues, est-ce que tu comptes revenir au français?
Il est possible que je fasse des chansons en français dans le prochain album, une ou deux, mais je vais essayer aussi d’aborder d’autres langues que j’aime bien. J’adore la bossa et, au niveau créatif, le Brésil est un pays qui explose en ce moment. Comme dans la morna capverdienne, j’aime cette forme de nostalgie souriante. On n’est ni dans le désespoir abyssal ni dans une joie artificielle. Le brésilien, le portugais, c’est une langue que j’adore. Je suis un gros fan d’un écrivain qui s’appelle Fernando Pessoa et j’aurais adoré pouvoir lire ce maître en portugais donc je vais m’atteler à la tâche. Jean M’ba va m’aider à choisir des langues africaines que je pourrais travailler aussi. J’aime bien l’idée de pouvoir mélanger des langues dans un seul projet et le rendre cohérent. Parce que même si les langues sont différentes, le message est le même

En parlant du Brésil, tu viens de faire la première partie de Seu Jorge sur sa tournée américaine. Comment cela s’est-il passé?
C’était un moment formidable, ça s’est super bien passé avec l’équipe. J’avais un a priori sur la façon dont des français pouvaient être reçus aux Etats-Unis. Je n’ai pas tout vu mais je sais que le public qui vient aux festivals de musique world là-bas est extrêmement large, ça va de 15 à 60 ans et il est très ouvert, très chaleureux. On est parti de Portland, on a fait la côte ouest, puis Toronto et Montréal au Canada et on redescendu de Chicago à New York. 13 dates en un peu plus de 15 jours! Après ça, ceux qui disent que les musiciens sont des fainéants! (rires)

Ta propre tournée continue.
Le 29 juillet, on a une date à Lassay les Châteaux, pour un festival de musique du monde puis le 13 août on est au Festival du bout du monde à Brest et le 19 août au festival Paris Plage. Entre temps, j’espère avoir le temps d’écrire de nouvelles chansons pour le prochain album et pour la scène parce qu’on n’en a pas beaucoup. Si tout va bien, le prochain album sortira en 2007.

Et d’où vient ton pseudo Jehro?
C’est une contraction affective de mon prénom. Mes amis m’appellent comme ça et j’ai mis un h au milieu quand j’ai créé mon premier mail car des « Jero » il y en avait plein! Le nom a des consonances exotiques donc on l’a gardé comme ça. Il me plaît bien et il correspond bien au projet.

Alors merci Jehro.

Jehro, le site officiel
A lire, notre article du Nice Jazz Festival 2005: Seu Jorge, le brésilien qui monte, qui monte

Eric_M

En amateur de musique, Eric Maïolino est auteur-compositeur-interprète, joue de la guitare, pratique le théâtre et assiste à des concerts! (toutes ses chroniques ici)

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