IAN JAMES STEWART : découverte et Interview
Un Trésor
Cela vous est-il déjà arrivé de découvrir, par hazard, une perle, un trésor ?
Je cherchais les nouveautés du côté de Robert Wyatt, car il collabore volontiers avec des artistes de tous horizons, mais de façon désintéressée, sans faire beaucoup de publicité, alors il faut un peu jouer les Sherlock Holmes… Et j’ai découvert le morceau « When U love Somebody », un « Bonus Track » de l’album « Junk DNA », d’un inconnu pour moi : IAN JAMES STEWART.
La voix de la légende vivante Robert Wyatt, reconnaissable entre toutes, y était évidemment magnifique, mais la musique aussi, finalement… Loin de m’en tenir à ce seul morceau je m’en vais donc écouter tout le reste, et là je découvre la voix de Stewart, sa guitare… Résultat : je me procure le CD dans la foulée. Je veux avoir l’objet. J’adore.
« Junk DNA » est sorti en 2013 : comment avais-je pu rater ça ?
Je découvre un peu plus tard qu’un autre album est en préparation : « ARTICANA ». Lorsque je peux enfin l’écouter, c’est la grosse baffe : ce que j’avais aimé dans « Junk DNA » est amplifié au centuple, c’est encore mieux. La musique est aérienne, transcendante, lumineuse, inspirée, avec un son bien équilibré, hyper bien mixé. Je fais immédiatement l’analogie avec deux de mes Dieux : David Gilmour pour les harmonies, Jeff Beck pour la guitare, mais aussi Jonathan Wilson quelque part, dans la façon de chanter, la balance des sons. Et surtout, je ne considère pas Ian James Stewart comme un « émule de », ou « inspiré par », mais comme quelqu’un qui a son propre ADN, qui apporte quelque chose « en plus ».
Depuis ce moment là c’est IAN JAMES STEWART que je chasse à travers le net, pour essayer de capter tout ce qu’il a produit. Je fais plein de découvertes : son travail en solo compte à l’heure actuelle deux albums, qui sont pour moi des albums majeurs. Il y a aussi une collaboration avec un artiste électro, mais qui porte intensément la patte du guitariste IJS. Et je mets aussi la main sur un trésor caché, dont je vous ferai part un peu plus loin.
Pour moi c’est une joie de vous faire découvrir cet artiste de haut niveau, qui a eu la gentillesse de bien vouloir nous accorder une ITW, à nous, petit blog perdu entre les blogs sur le Net. Pour lui je revêts une plume peut-être plus sentimentale que journalistique : Ian James Stewart est un musicien qui transcende le simple article de base, parce qu’il fait résonner quelque chose d’intime.
Mais tout d’abord, avant même d’essayer de décrire l’indescriptible (la musique), voici un peu d’histoire… D’où vient cet extra-terrestre ?
Pas tombé du ciel
IJM n’est pas tombé du ciel, c’est sûr. Déjà, il est né quelque part. Dans une ferme écossaise, avec un père joueur d’accordéon. Au milieu des années soixante, intrigué par les disques de Hank Williams et de Johnny Cash que possède son paternel, Ian se met à gratter la guitare. La musique est une affaire de famille : on joue un mélange de musique écossaise et de country. Puis il intègre un groupe de Glasgow, « The James Boys« , pour jouer du Steely Dan, les Eagles, Stevie Wonder… Après un séjour en Espagne Ian rentre à la maison pour bosser ses propres compos. Les années 80 déboulent, dans un orage contenu de « Hard-FM » (ou « Metal-FM ») qui a eu ses heures de gloire : le groupe STRANGEWAYS. Ce groupe, IAN en est le second guitariste dés 1984 pour leur premier album. Que dire de ce groupe, ce n’est pas le sujet de cet article… J’ai écouté ce qui est encore dispo à la vente, soit 5 CD sur 9, les 5 où Terry Brock est le chanteur de la formation. Je trouve que ça a terriblement vieilli mais qu’il y a des pépites à redécouvrir, et pour moi ce sont justement les morceaux où la guitare de Ian James Stewart est mise en avant : les slows « Time », « Crackin’Up Baby » et « Say what you want » sur « Perfect World » par exemple, ou encore « Face to Face » en 87 et « Love Lies Dying » en 1989.
Début des années 90 : le chanteur Terry Brock quitte le navire. C’est donc I.J.Stewart qui prend sa place devant le micro, pour les trois albums entre 1995 et 2000. Toujours avec son frangin David Stewart à la Basse, David Moore aux Claviers, et Jim Drummon à la Batterie. Contrairement aux 5 autres ces trois albums sont à présent quasiment introuvables, et c’est là le trésor dont je vous parlais plus haut, un trésor perdu : « And the Horse » en 94, « Any day Now » en 98 et « Gravitational Pull » en 2000, c’est tout autre chose que le Rock-FM de Strangeways. Ian est à la barre et ça se sent. Déjà : le son. L’atmosphère, et… la guitare, qui est partout, qui remplit l’espace (le sublime « Gravitational Pull »). En plus, pour ne rien gâcher, le mec SAIT chanter. Je considère ces albums comme les premiers solos de Stewart.
Heureusement que Youtube est là pour réparer certaines injustices… A quand une réédition de ces petites merveilles ? Après cette parenthèse de trois CD injustement disparus des catalogues, Terry Brock revient à la barre pour les deux ultimes albums du groupe et l’on retombe dans l’ancien style… Mais lors de la prestation du groupe en 2010 au festival de Firefest, dans « Love dies Lying » le son qui transcende la chanson est bien celui du grand guitariste blond à gauche – à l’écoute de ce qui sort de sa guitare on ne comprend pas trop pourquoi il est sous-employé dans le dernier CD de Strangeways (« Age of Reason »).
A ce moment là IJS veut continuer sur sa lancée et travaille déjà sur son premier solo prévu pour 2013.
On mesure tout le fossé entre la musique de STRANGEWAYS et celle que porte Ian James Stewart à présent, ou bien encore celle qu’il a produit en l’absence de Terry Brock. Sur son solo de 2013, « Junk DNA », IAN reprend là où Brock l’avait interrompu après « Gravitational Pull » : un Rock planant et lent où la guitare est reine, comme le merveilleux « Heaven Knows » :
Et après une longue attente sort « ARTICANA » en 2017. Et là…
Attention : chef-d’oeuvre
Dés le début on est dans le ton, on sait qu’on va avoir droit à quelque chose d’exceptionnel : « March to the right » commence façon tribal, avec dans un spectre stéréo élargi les échos de guitare Beckiennes typiques de Ian, toute violence contenue. Au fur et à mesure que la chanson se déroule on sent qu’on a encore franchi un palier : l’ambiance est fantastique, le mixage a tomber par terre, la profondeur et la précision digne des plus grands studios. IAN JAMES STEWART a trouvé sa vitesse de croisière, plus rien ne le retient, avec une excellente équipe autour de lui : Foss Paterson au piano/keyboards (John Martyn, Bonnie Raitt), Yaron Stavi aux basses acoustiques (Dave Gilmour, Blockheads), Alice Barnard aux cœurs, Thom Reuben Whitworth à la trompette, David Stewart le fidèle frangin à la basse et Jim Drummond à la batterie et aux percussions.
Le morceau titre, « Articana », qui commence avec des dentelles de guitare, nous fait entrevoir le ciel et ses violons avec son refrain atmosphérique à tomber par terre, et « Your Love » n’a rien à rougir même à côté d’un « The Blue » de David Gilmour, auquel le morceau nous fait inévitablement penser sans toutefois le copier, car la musique de IAN a sa propre identité. Idem pour la ballade crépusculaire « Blue Alice » , avant l’original « So wrong » ou l’on peut entendre à nouveau son ami Robert Wyatt dire quelques mots. Tout, absolument tout sur ce disque est magnifique. Même le petit passage folk au bandoléon que Ian glisse à la fin de « Your Love » : malicieux petit clin d’œil au groupe familial de son enfance peut-être, pour dire que la boucle est bouclée, que le petit James est revenu au bercail, puiser et nous livrer ce qu’il a de plus authentique au fond de lui. Alors bravo, c’est réussi. L’âge de la maturité est arrivé.
Peu après « ARTICANA », Ian apparaît sur « Big Machine« , une collaboration de 8 titres avec ERIK LE VIKING, alias Erik Thompson (avec lequel il a également enregistré le morceau très électro « Mind Scapes« , sous le pseudo de « Viking Trance« , et certainement pleins d’autres trucs). C’est un autre petit trésor caché… Une expérience aux frontières d’un autre album solo, où le musicien joue et chante magnifiquement, et qui prouve que la guitare de IJS se marie aussi bien avec l’Electro, tellement elle emporte l’adhésion. Elle capte toute l’attention, impossible d’y être indifférent.
Ian James Stewart, on veut que tu viennes au Quebec et en France, que tu remplisses les Zenith que tu mérites, et les stades et les parcs, et on attend la suite de « ARTICANA » avec impatience !
https://www.ianjamesstewart.com/
L’interview
- Lorsqu’on écoute ton dernier album « Articana » avec par exemple « March to the right », et aussi les passages les plus planants de l’album précédent « Junk DNA » (« Path of Lightning » par exemple), on retrouve un son de guitare que tu as déjà utilisé avec parcimonie lorsque ton groupe STRANGEWAYS existait encore (le solo de « Modern Love » par exemple). C’est un son un peu à la Jeff Beck, qui prend toute son ampleur sur tes compos plus personnelles d’aujourd’hui. Est-ce que ce son de guitare était ton Graal, un idéal que tu ne pouvais pas exprimer complètement avec STRANGEWAYS ?
Je ne sais pas pour le « Saint Graal des sons de guitare » , mais les guitaristes que j’écoute le plus au fil des ans comme Michael Landau, Jeff Beck, Larry Carlton et Robben Ford ont certainement influencé mon son et mon approche pour jouer de la guitare.
- On sent une évolution entre « ARTICANA » et « JUNK DNA » : «ARTICANA » s’éloigne encore plus du Rock. C’est une musique plus sage qui correspond mieux à ce que tu as toujours été ou bien es-tu plus apaisé avec l’âge ?
Je me suis calmé au fil des ans, mais je ne suis pas vraiment conscient que cela ait eu un grand effet sur mon écriture : j’ai fondamentalement juste écrit sur tout ce que je ressens à un moment donné. Qui sait, le prochain enregistrement pourrait être un peu plus rempli de colère, reflétant les événements actuels qui nous énervent.
- Te rapproches-tu plus à présent des influences que tu avais lorsque tu étais adolescent ? Dans ARTICANA, sur « End of the world » il est par exemple évident que tu apprécies le David Gilmour de « The Island », même certaines intonations de ta voix évoquent le chanteur des Floyd. Es-tu Fan de Pink Floyd ?
J’ai toujours aimé Pink Floyd mais j’ai aussi toujours eu de larges goûts musicaux, de Joni Mitchell à The Blue Nile, Prince, John Prine, Steely Dan, miles Davis… J’espère que cela se ressent et que cela influence l’écriture musicale d’une façon ou d’une autre.
- Robert Wyatt a participé à la création de l’une de tes chansons de « Junk DNA » (« When U love Somebody »). Comment a débuté cette collaboration ?
Je connais Robert depuis quelques années , nous vivons tous les deux dans la même petite ville sur la côte est de Angleterre, nous nous sommes rencontrés quand il est venu à l’un de mes concerts, et depuis on est amis. Je lui ai demandé de faire quelque chose sur « Junk DNA », il a entendu « When someone loves U » et bien voulu le chanter . J’ étais bien sûr vraiment d’accord pour que ce soit cette chanson et nous avons commencé à travailler ensemble. Nous avons travaillé sur d’autres choses depuis, c’est toujours génial de l’avoir non loin de moi.
- Si tu es toujours en rapport avec Robert Wyatt et Alfie (puisque Robert est également sur « so wrong » de « ARTICANA »), que penses-t-il de ARTICANA qui est encore plus « magique » que son prédécesseur ? (« magique » est le mot qu’il avait utilisé pour décrire ton premier album solo)
Il m’encourage et soutient ma musique, communiquer avec lui vous élève toujours et permet de réfléchir à de nouvelles façon d’ envisager les choses.
- Le style Metal-FM de STRANGEWAYS est-il selon toi à présent désuet ?
Oui , il est dépassé et nous devrions probablement le laisser là où il est.
- Les trois albums que tu as produits sous le nom de STRANGEWAYS, entre 1995 et 2000, auraient pu être tes trois premiers albums solos, tant le style est différent de la version du groupe menée par Terry Brock. Ces trois disques sont à présent introuvables, ce qui est fort dommage car ils portaient indéniablement ta patte. As-tu des regrets de ne pas avoir à l’époque sorti des albums Solos ?
J’aurais probablement dû sortir ces 3 albums sous mon propre nom, mais nous avons essayé de revenir aux racines originales de Strangeways avant que les grandes maisons de disques ne s’en mêlent … Mais la chanson « Out of the Blue » a été beaucoup diffusée en France (sur « …and the Horse – 1994).
- Peux-tu nous parler de expérience « Big Machine », avec « ERIC LE VICKING » ?
Je connais Erik depuis de nombreuses années, c’est un bon ami et c’est toujours agréable de collaborer avec quelqu’un qui vient d’un espace totalement différent.
- A quand le prochain album et sera-t-il de la même veine que « ARTICANA » ?
Je travaille sur un album en ce moment, je ne sais pas encore à quoi ressemblera le résultat final ou comment il sonnera, mais je profite de l’expérience…
- Qui admires-tu comme lead guitariste ?
Ceux que j’ai mentionnés au début de l’entrevue.
- Les paroles de certaines de tes chansons sont assez « new age ». Te reconnais-tu dans ce terme ? As-tu toujours eu des préoccupations écologiques ?
Je ne suis pas sûr à ce sujet… Je scat beaucoup ma voix au début d’un album, juste pour faire émerger des idées, et parfois quand vous ré-écoutez vous entendez certains mots et des phrases qui semblent avoir du sens et vous emmènent sur une certaine voie… Je pense qu’on devrait tous être concernés sur ce que nous sommes en train de faire à la planète…
- Par rapport à tes origines, as-tu envie de jouer de la musique Celtique ? Est-ce une orientation que tu pourrais prendre dans l’avenir ? (comme Mark Knopfler par exemple, autre grand guitariste écossais dont certains albums en étaient totalement imprégnés)
J’aime la musique celtique, on m’ a dit que certaines personnes entendent cette influence dans ma musique, mon père a joué et chanté beaucoup de musique traditionnelle écossaise et je suis presque sûr que cela a déteint sur moi.
- Penses-tu que tu occupes une « niche » musicale pour un public restreint ? Est-ce difficile de produire un album comme ARTICANA ?
Je ne vois pas vraiment la musique de cette façon : vous faites juste ce que vous faites en espérant que certaines personnes se connectent avec ça. L’écriture, l’enregistrement et la production d’ARTICANA était une formidable expérience.
- Que penses-tu des plateformes de streaming comme Spotify ou Deezer ? Aident-elles selon toi les artistes à se faire connaitre ?
Je suis toujours indécis au sujet de ces services, je pense que les artistes méritent d’être correctement payés pour le travail qu’ils font et que ce n’est pas vraiment ce qui se passe dans l’actuel brave nouveau monde de la musique.
- Quelles covers aimes-tu faire sur scène ?
Je ne fais pas de Covers pour le moment, peut-être que je m’y mettrai à un moment donné dans le futur, mais en ce moment je me concentre sur ma propre écriture.
Avant, il m’arrivait souvent de tomber sur des perles musicales par hasard car je fouillais beaucoup dans ce but. Maintenant que je passe beaucoup moins de temps sur le web, je suis ravie d’en découvrir grâce à des articles comme celui-ci qui décortique bien le sujet! Merci…