Robert Oualart

Robert Oualart

La marque des plus grands

 Robert Oualart brille depuis la fin des années 60 au firmament des génies de la musique expérimentale dans ce qu’elle a de plus innovateur et élitiste. Mais il n’est pas donné à tout le monde d’accéder au Graal qu’est  sa musique, qu’il a lui-même baptisée sous le nom de « Chicken-Muzak ». Si vous ne connaissez pas la Chicken-Muzak, c’est que vous ne faîtes pas partie des initiés, dommage pour vous. Les esprits chagrins pourraient dire « honte à vous » car on pourrait vous reprocher de vous en tenir aux musiques prédigérées que les maisons de disques nous imposent avec leurs tours de passe-passe, du coup on pourrait vous demander de faire un petit effort intellectuel afin de sortir du carcan Zik-Zak-Boum imposé par les instruments traditionnels… Mais il faut dire que Robert Oualart est une denrée rare, qu’il n’accorde pas facilement des interviews, et en plus pas à n’importe qui. Donc on ne va pas vous jeter la pierre mais tenter de vous présenter qui est ce génie, cet éminence grise dans le ciel de la pop-culture qui renvoie Paul McCartney chez son prof de basse, qui renvoie Elton à ses cours de chant, Jimi chez son prof de gratte, qui survole tous et toutes comme un aigle illustre que chacun voudrait approcher au risque de se brûler les ailes… Les pauvres Icares ! Robert Oualart vous dépasse et vous submerge car c’est un pêcheur de musique, la musique là où on ne pensait pas la trouver, là où seul un génie a su comment approcher l’insondable. Et son humilité, au point de se faire absent des médias, nous impose le respect. Pour cet homme on pourrait presque dire qu’il suffit qu’un petit cercle d’amis applaudisse, ou encore que son épouse esquisse l’ombre d’un sourire, et le voilà heureux lors de ces soirées où il présente aux élus sa dernière trouvaille, son dernier chef-d’œuvre. Il suffit d’un rien et Robert Oualart est heureux, non pas parce qu’il a créé un pur chef d’œuvre, mais parce qu’il a touché le cœur des gens. Sa Chicken-Muzak ne laisse jamais indifférent.

Secrets de fabrication

Nous allons tenter de vous faire comprendre à quel point le travail d’orfèvre de Robert Oualart fut unique. Unique et rare, donc : précieux. Car la musique est finalement comme l’art pictural : ce qui fait son prix n’est pas moins sa beauté que sa rareté, son originalité. Nous connaissons tous la légende urbaine de cette vache qui réalise un tableau d’un geste de sa queue imprégnée de peinture à l’huile, et allez hop tel artiste de renom y appose sa signature et parvient à vendre l’œuvre pour des millions. Tel est aussi le miracle Robert Oualart, et ceci dés son premier album, sobrement appelé « Cotte-Cotte », jeté comme un objet nihiliste Paul Elluardien à la face de notre industrie du disque à bout de souffle. Un vrai pavé dans la marre (de canards), un acte courageux, coup de tonnerre dans un monde musical devenu trop sage, trop étriqué, trop convenu.

Ce premier album, à présent introuvable, et bien il faut dire que ce premier album signa résolument l’acte de naissance de la Chicken-Muzak. Dés le premier et seul morceau on est dans le ton, on a compris que ce ne sera pas facile mais que si on s’en donne la peine on aura vécu une expérience inoubliable. L’équipe de Zik’n’Blog à retrouvé l’un des premiers auditeurs à avoir eu le privilège d’entendre le seul et unique titre de l’album number one, d’une durée de 65 mn sur CD-R low-cost. Nous l’avons interviewé, ce qui ne fut pas une mince affaire tant l’évocation de ce mémorable souvenir auditif plongea notre vieil homme dans une profonde perplexité. Un auditeur des tous débuts, donc, mais malgré que l’eau ait coulé sous les ponts le souvenir est resté intact, gravé dans le marbre. Il y a des choses qu’on oublie jamais.

Témoignage

  • Comment avez-vous pu être présent lors de la première audition publique de «Cotte-Cotte », ce fut une chance incroyable ! Quels sont les gens qui étaient invités à l’époque, nous étions à la fin des années soixante je crois… S’agissait-il de l’un de ces fameux « Happening » ?

– Un quoi ? Ah non alors, Robert n’avait rien à voir avec ces trucs de Hippy fumeurs de salade ! Pas du tout ! Robie c’était un crotteux de la campagne complètement omnibulé par ses poulets, il n’y avait que ça qui comptait pour lui : les poulets du Gers, et quand on se reunissait on ne parlait que de ça : les poulets. Les reunions c’était pour parler des poulets : comment que toi tu fais pour optimiser tes poulets ? Est-ce que tes poulets ont des effets indésirables par rapport aux antibios ? Plein de trucs comme ça, autour des poulets.

  • Iriez-vous jusqu’à dire que Robert Oualart était avant tout un technicien, un experimentateur ?

Oui c’est ça : il faisait plein d’experiences avec ses poulets, du matin jusqu’au soir. Par exemple sur la résistance du poulet à la chaleur, au froid, à la pression des autres poulets, et quand on se réunissait il nous faisait écouter tout ça, des poulets en train de hurler.

  • Imaginiez-vous à l’époque un tel engouement pour ces enregistrements, ses concept-albums ?

Ah non de Dieu l’enfant d’salaud il nous passait ses p….n de bruits de poulets en nous questionnant « et alors tu crois qu’ils se trouvent bien là mes poulets, ils crient pas trop fort mes poulets, est-ce que c’est des cris de joie ? ». « C’est des cris de joie de voir leur maître », qu’il disait, le Robert, mais nous on savait bien qu’il ne savait pas le gérer son élevage, tout ce qui l’intéressait c’était ses p….n d’enregistrements… il était frappadingue le Robert, et quand il sortait ses CD ah non d’une pipe on savait qu’on était faits comme des rats, on n’osait pas le contrarier parce qu’il se mettait à chialer d’un rien et ça nous faisait de la peine, alors on restait jusqu’à la fin à écouter des centaines de poulets caqueter comme des cons, et le Robert il avait dans les yeux quelque chose d’indéfinissable. Il était content, mais pas que. Moi je n’oublierai jamais ces soirées à être forcé d’entendre ses enregistrements de poulets, jamais. C’était trop dur.

  • Aviez-vous conscience alors d’être en face d’un pur génie ?

On était des gens simples, vous savez. Le génie et toutes les conneries qui sont venues après c’était pas notre monde. Mais le plus simple, je vous jure, c’était lui, et de loin. Très très simple. Il n’avait aucune conscience de ce qu’il était en train de faire à ses proches en nous invitant à écouter ses poulets.

  • L’avez-vous encouragé à enregistrer un second album, celui de la consécration ?

Nous n’avons pas pu terminer l’enregistrement car à ce moment là celui que nous appellerons Monsieur X, qui tient par dessus tout à son anonymat, a avalé de travers et nous a quitté. Il n’est pas mort, bien-sur, mais fatigué de tousser il a préféré remettre la suite de l’interview à plus tard. Malheureusement nous n’avons jamais pu le joindre par la suite. Zik’n’Blog a donc du quitter le Gers avec ce morceau de témoignage, les mots de la seule personne encore en vie ayant été en présence de Robert Alouart lors des premières auditions de « Cotte – Cotte », et avant le deuxième Opus : « Poulet sauté ».

L’album de la consécration

« Poulets sautés » était une seconde révolution dans le monde de la « Chicken-Muzak ». Déjà on passait à la jaquette en couleur, grâce à l’achat d’une imprimante jet d’encre exclusivement équipée de cartouches vertes. Et surtout ce fut l’apparition des fluctuations de tension dans le magnétophone analogique dont Robert Oualart se servait. Un procédé rustique et génial, génial car rustique : les piles n’avaient pas été changées à temps et la bande magnétique tournant plus lentement que la normale fit rentrer le psychédélisme dans l’univers de la Chicken-Muzak. La tonalité des poulets fluctuait. Il devint même possible de jouer avec celle-ci en secouant le magnétophone comme un checker, ou en sautant sur place, ce qui faisait encore onduler le son dans un processus de pure création en prise directe avec la musicalité des volatiles. Parce que lors de l’un de ses fulgurants éclairs de pur génie, Robert Oualart avait réalisé qu’il était beaucoup plus pratique de sauter avec le magnétophone à cassettes plutôt que de sauter avec un ou plusieurs poulets dans les bras. C’était aussi beaucoup plus productif, car l’artiste avait à présent accès à des cœurs entiers de poulets tressautant au rythme voulu, alors qu’auparavant le maximum qu’il parvenait à tenir dans ses bras était quatre ou cinq (suivant le gabarit). Il était même possible de faire varier l’intensité des hurlements des volatiles en modifiant les doses de produit phytosanitaires mélangés à leur nourriture. « Poulets sautés » fut un double album, qu’il présenta à son auditoire à la suite de l’une de ces fameuses « Chicken-Jump Muzak Sessions ».

Traversée du désert

Les majors, dans le monde frileux de la fast-food music, n’ont pas adhéré immédiatement au concept du Chicken-jump, déclinaison d’une Chicken-Muzak déjà difficile à avaler. Robert Oualart faisait peur. Même à ses proches. Les séances d’écoute de ses CD de Chicken-Muzak se terminaient plutôt mal, il faut bien l’avouer, avec des rixes et des empoignades. Certains cherchèrent même à détruire les enregistrements ainsi que le matériel et le lot de cassettes qui n’avait pas encore été numérisé. Le génie est parfois insupportable pour le commun des mortels, car il renvoie chacun à ses propre médiocrité. Ce fut une période sombre pour l’artiste qui plongea dans une sombre dépression alcoolisée. Tous les grands traversent cette phase, parait-il : l’artiste est maudit avant d’être adulé comme un Dieu, et plus il se fait rare, à l’instar de Vanessa Paradis par exemple, ou encore Brigitte Bardot, ou même Faudel, et plus l’icône devient une légende, un rêve inaccessible. La traversée du désert dura plusieurs années : Robert Oualart était en avance sur son temps, il devait attendre que les mentalités et les sensibilité évoluent. Un certain racisme anti-poulet régnait encore dans le monde de la musique où les virtuoses de tout poils préféraient des instruments plus traditionnels. Puis il y eu une épidémie chez les poulets de Robert Alouart : un virus ou bien un empoisonnement ? Le retour de manivelle d’une mauvaise gestion d’animaux vivants traités comme des patates ? Sans ses volatiles il devint impossible d’enregistrer. Comme un Michel-ange sans pinceaux, comme un Rodin sans burin, l’homme était aux quatrièmes dessous. La paranoïa propre aux plus grands créateurs prit le dessus et Robert se mit à vivre comme un ermite, laissant pousser à cette époque sa fameuse et célébrissime barbe. Chez Zik’n’blog nous avons retrouvé l’une des rares photos de cette époque :

Un ermite, un génie oublié… Un gourou pour certains. Mais plus Robert Alouart était absent et plus son aura grandissait dans le monde des poulets du Gers. Son martyr fut consacré par l’expression devenue populaire : « tu vas te faire Alouart « , pour dire  » tu vas avoir un empoisonnement du aux produits phytosanitaires dans tes poulets « . De cette période sombre un album, enregistré dans le dénuement le plus complet, a cependant émergé :

Ce fut le dernier témoignage de ce génie à présent oublié. Il ne disparut pas seulement du monde de la musique expérimentale : il s’effaça de la surface de la planète. Robert Oualart, le Syd Barrett du Gers, nous a laissé à jamais orphelins en manque de Chicken-Muzak et de Chicken-Jump. Certainement par respect, nul n’a osé reprendre ses travaux là où il les avait laissés, nul n’a su avoir ce talent extraordinaire qui rendait sa musique si unique, inestimable.

Fredel

Auteur-compositeur de musique pathétique sous le nom de SILEREVES, auteur de livres fantastiques & SF, occasionnellement journaliste dans la presse et radio locale, FREDEL vit en Charente-Maritime prés de La Rochelle (la ville de Champlain, fondateur du Québec en 1608...).

Un commentaire sur “Robert Oualart

Laisser un commentaire