Yves Simon à Cannes : « J’ai découvert la scène l’année dernière ! »

Yves SimonYves Simon ne fait pas les choses comme tout le monde. Sur scène, avant de chanter, il commence par saluer le public avec ses musiciens. Puis il aime parler et il avoue lui-même être bavard. Alors, il se raconte, toujours avec distance et dérision, s’amusant de lui-même et de son âge, évoquant son adolescence à Contrexéville ou encore la première fois qu’il a vu la mer en arrivant à Cannes. Ses nouveaux titres et ses tubes, un medley de reprises inattendues dont le Love Me Do des Beatles, pour finir par le très émouvant Cet Enfant, Yves Simon chante sur scène comme devant des amis. Tout simplement.

Yves Simon ne fait pas les choses comme tout le monde. Après ses tubes des années 70 et 80, d’Au Pays des Merveilles de Juliet à Amazoniaque, il obtient un Prix Médicis en 1991 pour son roman La dérive des sentiments. En 1977, en plein succès de Diabolo Menthe, il arrête la scène. Pendant trente ans. Arrivé à Cannes la veille de son concert pour une rencontre FNAC, il reçoit reçoit les journalistes pendant plus d’une heure, jusqu’à ce qu’on lui rappelle son rendez-vous. Il nous éclaire sur son parcours, sa vision de la scène et de la chanson.

Bonjour Yves Simon.  Vous remontez sur scène après trente ans d’absence. Pouvez-nous nous dire pourquoi vous avez quitté la scène, il y a trente ans ?

Plusieurs choses se sont empilées. La première est physique : en 1977, j’avais fait deux tournés en France, une au Japon, une en Allemagne et une au Canada. En plus, j’avais fait un album, plus la musique de Diabolo Menthe. Donc c’était une année très fatigante et je voulais me reposer. Ensuite, je voulais être plus à l’aise pour écrire des livres. Enfin, je n’aimais plus cette idée du chanteur maître du monde, maître de la salle. J’avais été frappé par je ne sais plus quel chanteur de variété que j’avais vu à l’Olympia et qui faisait chanter les filles, puis les garçons etc. Je trouvais ça ridicule, inintéressant. Je me suis dit : « si c’est ça le rôle du chanteur, de faire le malin sur une scène avec un micro, on peut s’en passer dans sa vie. »

Vous n’étiez pas à l’aise sur scène ?

En fait, je ne me sentais pas bon. J’étais très traqueur, je trouvais que tous les autres étaient meilleurs que moi et je me disais « autant ne pas faire de scène». Et n’oubliez pas que je chantais après 68, c’était une génération très difficile : dès que je disais un mot de travers, ils me huaient ou ils me traitaient de « salaud de capitaliste ». J’avais voulu m’acheter une Porsche à l’époque parce que c’était une fantasme d’enfant : je la retrouvais toujours pleine de graffitis. J’ai trouvé que c’était un peu galère de chanter dans les années 70. Puis quand j’ai voulu rechanter au bout de trois ans de silence, mes musiciens étaient partis. C’était dur de reformer le groupe et je n’avais pas envie de jouer avec d’autres musiciens  parce que le chanteur avec ses musiciens, c’est un peu comme un couple : il y a une alchimie qui se forme. Donc, j’ai laissé tomber et je remettais chaque fois d’une année. Et ça a fait trente.

Finalement, pourquoi êtes-vous revenu à la scène ?

L’idée de refaire de la scène, c’était pour ma femme. Elle a un prénom d’homme, elle s’appelle Patrice Flora. C’est cette fille dont je parle dans le disque, la métis. C’est une jolie histoire avec un arrière plan qui date de 20 ans : on s’est connu en 89 et je lui ai dédié La dérive des sentiments. Puis on s’est quitté dix ans et on s’est retrouvé il y a six ans. On ne s’est plus quitté depuis. Elle ne m’avait jamais vu sur scène et elle m’a encouragé à reprendre.

Votre retour s’est fait aux Francofolies de la Rochelle en 2007. Aviez-vous déjà rechanté en public avant ?

Comme mes livres ont été beaucoup traduits, je donne régulièrement des interviews dans des pays extrêmement divers. A l’occasion de la sortie d’un livre au Japon, mon traducteur m’a proposé de chanter pour les gens quelques chansons tout seul à la guitare acoustique. Je l’ai fait et j’ai vu que ça se passait très bien. Alors que pour l’interview, j’ai besoin d’un traducteur, ce n’est pas le cas quand je chante en français : il y a un truc direct qui se passe avec les gens présents. J’ai refait la même expérience à Istanbul puis au Brésil, en Suède … et ça s’est très bien passé. Mais je crois que le goût de la scène est revenu il y a trois ans : Reporters Sans Frontières a organisé pour Florence Aubenas un concert avec une vingtaine de chanteurs à l’Olympia. Je me suis dit : « rechanter à l’Olympia, quel pied ! ». Je n’y avais pas chanté depuis 74 mais j’ai toujours aimé cette salle. Quand l’opportunité s’est présentée de chanter aux Francofolies de la Rochelle, je me suis dit : « si je peux refaire une salle à Paris, je fais l’Olympia. »

Et maintenant, comment vous sentez-vous sur scène ?

J’ai découvert la scène l’année dernière, à mon âge, aux Francofolies de la Rochelle. Je me suis trouvé non seulement à l’aise et j’ai vu que les gens m’aimaient. Aujourd’hui, c’est une standing ovation en arrivant ou alors à la fin. Les gens disent : « on t’aime, on est là pour ça ». Ils donnent beaucoup, ils sont généreux, gentils, tendres ce qui n’était pas du tout le cas de ma propre génération dans les années 70. Maintenant, je prends du plaisir. Et quand on prend du plaisir, on est meilleur. On peut plaisanter, se moquer de soi. Je suis content parce que maintenant je n’ai presque plus de trac et je crois que je suis plutôt bon.

Avant de devenir écrivain et chanteur, avez-vous eu d’autres envies ?

On a tous des désirs entre dix et vingt ans : j’ai eu envie d’être pilote de course automobile, coureur cycliste, rock star, enfin j’ai monté un groupe de rock quand j’avais quinze ans. J’ai eu envie de cinéma très tôt grâce à Godard, Truffaut, Fellini, des américains comme Arthur Penn puis plus tard Woody Allen. En littérature, ce sont des gens comme Le Clézio, Albert Cohen, Perec qui m’ont donné envie d’écrire. Je suis égocentrique, comme je pense beaucoup de gens, mais beaucoup moins que d’autres. Les gens me nourrissent : ce sont des relais. Je suis à l’université permanente : un disque m’apprend beaucoup de choses d’un chanteur, je lis beaucoup d’essais, plus que de romans. J’ai fait l’HIDEC, l’école de cinéma, au Lycée Nanterre à Paris. On voyait trois films par jour et c’est une nourriture. J’ai autant appris des professeurs que des élèves qui venaient tous pour la plupart des grands lycées parisiens alors que moi je venais de l’université de Nancy. Pendant le concert, je rends hommage aux gens qui m’ont donné envie. J’en ai choisi quatre, ceux de l’adolescence : Brassens, Gainsbourg, les Beatles et Bob Dylan qui a représenté à ce moment-là, avec une poésie rimbaldienne, la jeunesse folle, créatrice, magnifique. Je crois qu’il faut toujours avoir en mémoire ceux qui nous ont donné envie.

Vous n’avez jamais choisi entre chansons et romans. Pensez-vous que l’un ait plus de force que l’autre ?

Je n’ai jamais privilégié l’un ou l’autre. Quand j’avais 22-23 ans, je m’étais lancé le défi pour l’an 2000, d’avoir fait dix disques et dix albums. Finalement, je suis arrivé à douze en 2007. Mais j’ai toujours pensé que le pouvoir poétique est plus important que le pouvoir politique. En tout cas, même si les hommes politiques ont un pouvoir, ça n’est pas ce pouvoir-là qui m’intéresse. Les mots chantés ont souvent plus d’importance que les mots écrits dans les romans.  La chanson est un repère affectif de nos vies, plus que les films, plus que les romans. On se souvient d’une chanson qui a marqué nos vies à tel âge pour x raisons : un premier amour, un dernier amour etc. Et assez étrangement, la fiction l’emporte sur le réel. J’ai vu à Cannes, dans l’ancien Palais des Festivals, Apocalypse Now qui a obtenu la Palme d’Or. Et j’ai pleuré alors que j’avais vu pendant des années des reportages sur la guerre au Vietnam à la télévision. Je n’étais pas content finalement de pleurer au film de Coppola et de ne pas avoir pleuré aux infos de la télé. C’est là que j’ai réalisé la force de la fiction par rapport à la réalité.

Y a-t-il un type d’écriture que vous préférez ?

Ce que je trouve intéressant, c’est de jouer sur les différents registres. Le roman c’est la liberté totale. Tous mes romans parlent d’aujourd’hui mais plein de romanciers écrivent des romans historiques formidables. L’écriture poétique, au sens large, c’est autre chose : aujourd’hui la poésie c’est sous forme de chansons la plupart du temps. Dans une chanson, il faut ramasser l’air du temps en très peu de mots et dans un court instant. C’est ça qui est très très fort. Mais c’est un exercice difficile : il y a plein d’écrivains comme Sartre qui ont essayé d’écrire des chansons, elles ne sont pas restées dans nos mémoires. Puis il a l’écriture journalistique qui est assez ramassée et événementielle. J’aime bien cette fonction de journaliste. Chaque fois que je vais quelque part, j’aime faire acte utile et je ramène en souvenir un sujet pour un journal.

Une des caractéristiques de vos chansons, c’est l’utilisation de références à des noms, des lieux … ce qu’on a appelé depuis le « name-dropping ». Considérez-vous que vous en êtes un précurseur ?

Pour être honnête, le précurseur c’est Gainsbourg. Je crois que c’est la chanson Initials B.B. qui m’a donné cette idée d’utiliser des noms, de la littérature etc. J’ai utilisé le name-dropping très vite dans Les Gauloises Bleues où je parle de Jefferson Airplane, de Dylan, de Rimbaud … ou dans Au Pays des Merveilles de Juliet , dédié à la comédienne Juliet Berto où je cite Lewis Caroll, Godard, Truffaut …. Et pour J’ai rêvé New-York , je ne l’ai jamais dit, mais le début parlé est fait de bouts d’interviews. C’est du vrai, quoi, je le l’invente pas. Il y a d’abord les interviews de Lester Young (« Si une bombe atomique … ») puis de Gregory Corso, un poète de la beat generation, qui  a cette phrase fabuleuse sur la puissance : « C’est rester au coin d’une rue et n’attendre personne. » Tout le monde a cru que c’était de moi : pas du tout ! Et la troisième, c’est celle de Jimmy Hendrix . Un journaliste lui dit : « Bonjour, je suis du New-York Times » et il répond « Bonjour, je suis de la planète Mars ». J’ai peut-être été beaucoup imité mais les choses ne vont jamais en solitaire. Souchon est de ma génération et ses premières chansons n’étaient pas du tout comme ça. Il est arrivé au name-dropping au cours des années 70. Mais je ne trouve pas que ce soit la panacée. Je trouve que Vincent Delerm l’utilise beaucoup et peut-être même un peu trop.

Comment est-né ce nouvel album Rumeurs ?

Dans la cuisine ! C’est ma femme Patrice qui cuisine et je restais avec elle pendant ce temps-là. Un jour, comme pour trouver un équilibre entre nous deux, elle m’a proposé de lui faire des chansons. J’ai amené ma guitare et tous les soirs, j’enregistrais avec un petit magnétophone, une musique sans les paroles. Il y avait du bon, du mauvais. Puis j’ai gardé certaines musiques et j’ai mis des paroles dessus. C’est venu comme ça, un échange nourriture contre musique.

La réalisation du disque est signée Jean-Louis Piérot, l’autre membre des Valentins avec Edith Fambuena. Pourquoi ce choix ?

C’était une idée à moi. Comme avec Edith, ils avaient produit des albums pour Bashung ou Daho, j’avais d’abord choisi Edith. Je voulais travailler avec une femme, c’était la première fois sur un disque. On a fait l’affaire : on s’est rencontrés un lundi soir et le jeudi elle m’a dit : « je suis désolée mais Daho veut me garder pour terminer son album. » Donc j’ai pris Piérot. Mais le prochain disque, j’aimerais bien le faire avec Edith.

La réédition d’une intégrale de vos chansons est-elle prévue ?

C’est vrai que l’intégrale sortie il y a dix ans ne se trouve plus dans le commerce. Il y a quatre ans, j’ai eu un rendez-vous chez RCA, mon ancienne maison de disque, qui voulait faire une intégrale. A ce moment-là, c’était 9 albums originaux RCA plus les musiques de films plus deux live : un à Tokyo et un au Théâtre de la Ville. Pour les mettre à l’aise, je leur propose d’enlever des chansons pour réduire l’intégrale à 5 albums. Mais eux ils veulent tout, y compris les deux albums que j’avais alors fait chez Barclay Universal. Puis BMG a été racheté par Sony et finalement le projet a abouti à un coffret de trois albums qui ressort cette année pour les fêtes de Noël. Ca a été utile pour moi car ça m’a permis de récupérer des copies de bandes que je n’avais pas, comme une dizaine de musiques de films. Mais ça me fâche un peu qu’il n’y ait pas sur le marché une intégrale. Le marché est tel qu’aujourd’hui, ce n’est plus possible à mettre en place.

Merci Yves Simon !

Yves Simon, le site officiel. Albums à écouter sur Deezer.
Concerts de septembre 2008
: cette année encore, le Palais des Festivals de Cannes a lancé sa saison sur quatre soirées très éclectiques. Une soirée salsa, une soirée jazz manouche et chanson (lire notre interview de Thomas Dutronc), un concert forcément explosif d’Iggy Pop (lui-même) avec ses Stooges et une soirée chanson acoustique avec le double plateau Suzanne Vega / Yves Simon.
Suzanne Vega : « une belle créatrice, une belle écriture et une voix qui accroche » selon Yves Simon. Pour présenter son très bon dernier album, Beauty & Crime qu’elle qualifie de « classique moderne », Suzanne Vega donne une tournée acoustique accompagnée seulement d’un guitariste. Un moment plus qu’agréable, plein de douceur et d’humour. A lire : notre interview de 2006, alors qu’elle préparait cet album, dans laquelle elle commente toute sa carrière.

Eric_M

En amateur de musique, Eric Maïolino est auteur-compositeur-interprète, joue de la guitare, pratique le théâtre et assiste à des concerts! (toutes ses chroniques ici)

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