Stephan Eicher : « Je cherche que mes poils se lèvent sur mes bras »

Stephan Eicher : « Je cherche que mes poils se lèvent sur mes bras »

Stephan EicherPrévue jusqu’en mars 2008, la tournée du nouvel album de Stephan Eicher, Eldorado, est passée par le Palais des Festivals de Cannes en novembre dernier. Eicher a conçu pour ces concerts un show très personnel et très réussi.

Stephan Eicher aime plaisanter. En pleine grève des transports, il commence l’interview par une allocution : « Mes chers compatriotes … » et vous ferait presque croire que 31 musiciens prévus pour le concert sont bloqués. Mais c’est sérieusement qu’il regrette de ne pas pouvoir faire une tournée en train parce que « tous les pingouins qui brûlent au Pôle Nord »,  il trouve ça « d’une tristesse totale. » Il ajoute d’ailleurs à propos des 4×4 : « Si vous habitez Bagdad, je peux comprendre que vous ayez un Hummer. Mais si vous habitez Cannes, je trouve ça vraiment ridicule. » Et en musique non plus, Eicher ne plaisante pas. Son concert est entièrement joué à quatre musiciens, les trois autres étant multi-instrumentistes et tous s’aidant de pédales pour mettre en boucle la guitare, les voix, la batterie ou la trompette. On passe du plus calme à des tourbillons d’énergie étonnants, le tout dans des jeux d’ombres et de lumières très réussis. Bref, un très bon spectacle.

Bonsoir. Ce soir vous vous produisez dans une formation musicale très resserrée ?
Oui, on sera quatre scène. Pendant que j’étais en train de faire mon disque, j’ai dû faire un concert en Suisse et je n’avais pas de groupe. Alors j’ai rassemblé des musiciens de rêve et ils sont tous là ce soir. Il y a Martin Wenk le trompettiste du groupe américain Calexico et Reyn Ouwehand au piano avec qui j’ai produit toutes les chansons un peu jazzy sur le disque. D’habitude, il ne va pas du tout en tournée mais là, il fait une exception. Et Toby Dammit qui est le batteur depuis la tournée Taxi Europa. Je voulais laisser de l’espace, laisser respirer les instruments. Il y a deux trois moments comme sur Déjeuner en paix où c’est un peu poilu mais on essaie de pas jouer chaque note qu’on pourrait. C’était un peu ma maladie avant, je voulais toujours boucher tous les trous.

Comment sera le décor ?
J’essaie de faire un concert en noir et blanc. Sur scène, il y a un studio photo inspiré des photos du disque. Elles sont signées de Mondino. Pour moi, un bon photographe, c’est quelqu’un qui arrive à vous rendre plus beau que ce que vous êtes. Lui, c’est un super bon photographe (rires). Et c’est un être humain formidable. Il a fait la pochette de mon premier 45 tours, Les chansons bleues. Je devais avoir 23 ans et lui 27. Depuis, on se croise tous les dix ans.

Vous reprenez bien sûr d’anciens titres ?
J’aime bien revisiter mon répertoire et je crois que mon public vient me voir pour ça. Déjà dans les années 80, quand je faisais mes premiers concerts, je changeais les chansons au fur et à mesure et il y avait toujours quelqu’un du public pour me dire : « Mais ça sonne pas comme sur le disque ! ». Ca m’a toujours amusé. Je crois qu’il y a eu un malentendu entre les années 70 et 2000, comme quoi le disque définirait une chanson. Dans la musique classique, c’était des notations, l’interprétation changeait à chaque fois. Le jazz est allé encore plus loin : on définit un thème et on joue autour. C’est la musique pop rock qui s’est mis ce corset un peu bizarre que chaque fois ça doit sonner pareil. Mais aujourd’hui, je crois qu’on est un peu libéré de ça. Je commence le concert seul sur scène avec deux chansons assez connues : Two people in a room et Pas d’ami comme toi. Et à chaque fois que je monte sur scène, je ne sais pas vraiment où on va. C’est ça qui m’excite.

Comme est né ce nouvel album Eldorado ?
Je cherchais dans ma collection de disque, à la radio ou dans les magasins une musique que je n’ai pas trouvée. C’était une musique très intimiste. Je voulais que quelqu’un chante seulement à moi. J’ai commencé à écrire des chansons avec Philippe Djian avec qui j’écris depuis 15 ans et on a remarqué qu’on commençait à tourner en rond. En fait, on a une longue relation et on a eu envie de se tromper un peu. Mais comme on est des très bons amis on s’est dit : « Là, chéri, je vais te tromper ! ». On a regardé autour de nous un petit peu ceux qui ont commencé en écoutant nos chansons. L’un de ces garçons s’appelle Raphaël, je le suis depuis un moment. Et il y a eu Mickaël Furnon de Mickey 3D qui a envoyé une chanson parce qu’il avait entendu que je ne me limitais pas seulement à Philippe Djian. Puis quand j’ai fait ce concert en Suisse au milieu du disque, ça m’a beaucoup inspiré pour l’album. Quand Martin Wenk a entendu Rendez vous de Raphaël dans une chambre d’hôtel en Corse, il a commencé à jouer dessus avec cette trompette mariachi et cette mélodie est devenue un peu la signature de la chanson. Je suis comme un cuisinier qui va au marché sans avoir la liste déjà faite et qui y trouve son inspiration.

L’une des chansons de l’album a été composée par Philippe Djian ?
Oui. Quand il m’a envoyé Pas déplu, j’ai essayé de faire la musique. C’était pas très très bien et je lui ai dit que je n’arrivais pas avec ce texte. Il m’a dit : « Mais c’est très simple ». Il a pris ma guitare et il a commencé la mélodie. Je lui ai dit : « C’est bon ça, dis-donc » et il m’a dit : « Tu déconnes ? » et j’ai dit : « Mais non ! ». Je trouve ça bien qu’en plus de Raphaël et Mickey 3D, il y ait un nouveau mec sur ce disque : c’est Philippe Djian comme compositeur. C’est un joli clin d’œil à lui aussi. Et s’il va à la banque, ça le gêne pas du tout parce qu’il a tout le gâteau ! (rires)

Comment s’est passé le travail avec Raphaël ?
Avec lui, c’est une espèce d’échange assez agréable. Quand j’ai commencé à écrire, il m’a demandé ce que faisais et il est venu chez moi pour que je lui joue mes chansons. Et plus tard, quand il a commencé à retravailler sur des chansons, je suis allé chez lui, j’ai écouté et tout à coup y’a trois chansons qu’on a travaillé. On n’en a fini qu’une et on continue de travailler sur les deux autres. On en a même écrit des nouvelles. Je sais pas si ça va rester sur son disque ou si ça va aller sur le mien.

Qu’est-ce qui vous plaît dans cette nouvelle génération ?
Dans la musique, je cherche que mes poils se lèvent sur mes bras. De temps en temps, ça arrive avec des conneries à la radio que j’aurais presque honte de vous dire (rires). Si ça me touche émotionnellement, je prends. J’ai commencé avec des gens comme Etienne Daho, Murat ou Aubert et jusque dans les années 90, y’a pas eu trop de gens qui chamboulaient ça. Mais tout à coup, il y a eu ce changement dans l’écriture avec Delerm ou Bénabar, qui sont très forts ou – M – qui est un musicien hors pair. Là, je me suis dit : « Les gars, il faut se lever et réattaquer ». J’aime bien la compétition en musique, ça me stimule.

Pourquoi ce choix de Confettis comme nouveau single ?
C’est une chanson de haine arrangée comme une chanson d’amour. J’aime amener les gens comme ça et quand ils sont dans la forêt toute noire, leur voler les sous. Mais il y a des problèmes. Il y a quelques radios qui ont lu le texte qui parle de « pisser dans le noir » et qui ne le passent plus. Tant pis.

Pour vos arrangements, vous avez toujours utilisé la musique électronique. Qu’est-ce qui vous plaît là-dedans ?
Il y a eu un changement. Quand j’ai commencé dans la musique électronique, c’était un vrai style à part. Aujourd’hui, l’électronique est devenu partie intégrante d’une chanson, comme un instrument, comme la rythmique. Et c’est tant mieux. Je trouve ça très séduisant de mélanger un banjo avec un synthé ou une boîte à rythme avec une guitare acoustique. Pour moi qui adore les combinaisons de sons, c’est formidable. Et une machine qui fait toujours la même boucle a une sorte de mélancolie très séduisante. Ca m’inspire des accords mineurs. Ca devrait être froid et ce qui est intéressant, c’est de trouver un contrepoint. Ca reste une source très importante pour moi. Mais je trouve qu’on ne fait pas assez d’électronique aujourd’hui. Si j’écoute la radio, on se croirait de temps en temps dans les années 50.

Vous chantez dans plusieurs langues. Est-ce qu’il y en a une dans laquelle vous vous sentez le plus à l’aise ?
Oui c’est le suisse, le bernois. C’est ma langue maternelle mais c’est un langage que je ne pratique plus beaucoup parce qu’il n’y a presque personne de Berne qui fait de la musique ! (rires) Mais à chaque fois que je le chante, j’amène quelque chose qui vient de loin. Quand Hemmige a été un tube en France, j’étais le mec le plus heureux. C’est un langage qui est parlé par 300 000 personnes et tout l’Olympia le chantait ! Ca m’a beaucoup touché. Ce soir, à cause des grèves, on ne pourra pas avoir les 31 musiciens prévus pour cette chanson donc on devra faire les 31 instruments à 4 : le sac en plastique, le ballon, le sifflet, tout ça. Et on aura besoin de l’aide du public !

Alors bon concert Stephan Eicher ! Et merci !

Stephan Eicher, site officiel
Palais des Festivals de Cannes
Photo : Jean-Baptiste Mondino

Eric_M

En amateur de musique, Eric Maïolino est auteur-compositeur-interprète, joue de la guitare, pratique le théâtre et assiste à des concerts! (toutes ses chroniques ici)

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