Eric Triton, le blues de l’île Maurice

Eric Triton, le blues de l’île Maurice

Eric TritonLe Nice Jazz Festival 2005 se déroule du 20 au 27 juillet. Chaque jour, je vais vous faire découvrir un talent peu médiatisé. Premier d’entre eux, Eric Triton.

Mercredi 20 juillet, Eric Triton était au NJF. Si le jazz a donné naissance au festival, il s’est désormais ouvert aux « musiques festives et chaloupées ». La musique d’Eric Triton fait partie de ces dernières. 38 ans, originaire de l’île Maurice, ce gaucher jouant sur une guitare de droitier est tombé dans le blues et le jazz depuis tout petit. Quittant le « séga », la musique traditionnelle mauricienne, il suit sa voix. Son jeu frappe par le groove qu’il donne à ses compositions avec cette manière si particulière de faire rouler les basses. Il a une voix chaude et puissante qu’il exploite avec une technique incroyable, de la note en voix de tête tenue très longtemps jusqu’à l’imitation de Louis Armstrong à qui il consacre une chanson. Seul avec son percussionniste, il le laisse partir en solo en changeant tranquillement ses cordes. Dans sa salopette grise rayée de blanc, Eric a fait bouger le public qui en redemandait. Rencontre avec un artiste qui a des choses à dire.

Bonjour Eric Triton. Comment vous présenteriez-vous en deux mots à ceux qui ne vous connaissent pas?
Je viens de l’île Maurice, je chante en créole mauricien avec du blues, du swing, un peu de funky et d’afro. Je raconte l’autre côté de la carte postale. Même si le devant est très joli, il y a ce qu’on ne voit pas quand on vient en vacances comme ça. C’est cet amour pour mon île qui fait que je vois ce qui ne va pas.

Vous avez écrit la chanson Tir Twa (Tire-toi) pour un ami. Parlez-nous du contexte de cette chanson.
J’avais écrit ça pour un copain qui s’appelait Kaya, un artiste qui a créé le seggae, mélange de séga et de reggae, qui a bien marché. Il avait le talent pour aller représenter l’île Maurice un peu partout mais malheureusement les politiciens l’ont utilisé. Il s’est retrouvé en prison, il a été tué, en tout cas il est mort d’une façon très douteuse. Cette chanson c’était pour lui dire de ne pas se laisser prendre par les politiciens. En février 1999 quand il est mort, on a vu une face cachée de l’île Maurice. Il y a vraiment un problème de « communalisme » comme on dit chez nous. Ca commence à faire une guerre de religion. Pour moi l’île Maurice c’est un volcan qui dort en ce moment. Pour que ça n’explose pas je veux que les problèmes soient résolus par la musique, l’art en général. Malheureusement à l’île Maurice il n’y a pas assez de lieux où les artistes peuvent s’exprimer. Les gens sont plus attachés à la religion qu’à leur culture mauricienne. Moi comme j’ai l’occasion de pouvoir jouer ailleurs, j’en profite pour faire connaître ces problèmes. Et si demain je deviens quelqu’un de connu et un petit peu riche même, je créerai des lieux pour les artistes à Maurice. « Révolution pratiquée en musique c’est encore mieux » comme je dis dans une chanson. Je dis aussi qu’il ne faut pas oublier ce qui s’est passé en Serbie ou en Afrique avec les Hutus et les Tutsis.

Il vient d’y avoir des élections sur l’île. Est-ce que vous pensez que le changement peut aussi venir de la politique ?
Malheureusement non parce qu’on a pas d’artistes parmi les politiciens et ils n’ont pas la notion de la valeur de la culture. En ce moment, on a le bel exemple du Brésil : ils ont réussi à exporter leur art au monde entier. Les musiciens mauriciens qui représentent l’île à l’étranger chantent que tout va bien, le soleil est là, la mer est bleue, les oiseaux chantent. Pour eux, il faut danser, boire, s’amuser et c’est tout. C’est ça qui bloque l’évolution culturelle de la musique locale. Je pense que ce qui m’a permis d’arriver là où je suis, c’est que je fais quelque chose de totalement différent des autres et j’ai pas honte de ce que je fais.

Par-delà la musique locale, qu’écoutiez en grandissant ?
C’est Louis Armstrong la première personne qui m’a influencé. Sinon, j’ai écouté et j’écoute toujours beaucoup la radio. On entend plusieurs types de musique, ça permet d’enrichir sa connaissance musicale. C’est comme un dictionnaire. Il faut connaître un maximum de choses pour aller de l’avant dans la musique. J’ai écouté pas mal de grands guitaristes tels que George Benson, Al di Méola, Paco de Lucia, John Mac Laughlin ou Stanley Jordan dont on ne parle pas assez et qui est pour moi le meilleur actuel. J’ai écouté beaucoup de grands du jazz comme Erroll Gardner, Duke Ellington, Dizzy Gillespie et des chanteuses et des chanteurs comme James Brown, Aretha Franklin, Joe Cocker. Et quand j’avais 13-14 ans, j’écoutais beaucoup Carlos Santana. C’était l’école. Sinon, j’ai passé les 5 premières années de ma carrière professionnelle à jouer dans les hôtels de l’île Maurice et à faire de la variété pour les touristes. Puis un jour j’ai rencontré Jacques Higelin qui m’a dit : « T’as ton jeu à toi, tu as ta voix, tu as ta manière de chanter. Quitte ton île, tu vas pouvoir aller plus loin. » Je l’ai écouté et j’ai arrêté tout ça pour pouvoir créer.

Et c’est à partir de là que vous êtes venu en France ?
D’abord je suis passé par l’île de la Réunion, ça a été un peu le tremplin. J’ai fait là-bas la première partie de plusieurs artistes comme Luther Allison ou Calvin Russel qui m’a invité à faire sa première partie à la Cigale à Paris. Là j’ai rencontré Jean-Philippe Allard de Polydor, Universal, avec qui je suis depuis presque 5 ans. En France, j’ai fait ensuite d’autres premières parties, Gérald de Palmas, Maurane, Eddy Mitchell, les Neville Brothers, etc.

Votre titre « Ou Tilé » tourne pas mal sur France Inter notamment. Vous qui écoutez beaucoup la radio, ça vous fait quoi ?
Quand l’album est sorti, il y avait beaucoup de radios qui passaient ma musique. C’est comme un rêve qui s’est réalisé. Quand je m’entends à la radio, j’ai du mal à croire. (rires) Ou Tilé c’est un titre qui passe bien parce que c’est festif, on reconnaît le mauricien dedans. Mais si on écoute les paroles, c’est une parodie du séga : comme j’ai dit, ceux qui viennent représenter le séga, c’est pour faire joli, on tourne en rond, on picole mais ça va pas plus loin. Les paroles de leurs chansons, c’est beaucoup de « ou tilé lé lé lé, ou tila la la » et ça veut rien dire en vérité. Les parodies, ça marche bien. C’est un peu comme il a fait Lagaf’ avec le lavabo ! (rires)

Mais Lagaf’ était musicalement moins intéressant ! Vous avez écouté beaucoup de jazz. Le fait de jouer au Nice Jazz Festival, ça représente quoi pour vous?
C’est le résultat du travail que j’ai fait depuis tout petit parce que je ne me souviens pas quand j’ai commencé la musique en fait. C’est magique. Je regardais les grands groupes à la télé et j’ai toujours rêvé de faire des festivals. Et le fait d’avoir fait ce festival, ça confirme que je suis dans la bonne direction.

Et qu’est-ce que vous avez retenu de votre passage?
J’ai retenu que le public d’un festival de jazz est ouvert à toute musique en fait. Le jazz aujourd’hui c’est plus le jazz américain. La world music a pris plus de place. Et c’est grâce au jazz, parce pour arriver à accepter toutes ces influences dans une seule musique, il fallait passer par tout ce que permet le jazz, comme l’improvisation, et ça c’est formidable. Aujourd’hui, le jazz est devenu world music.

Vous pouvez nous parler de votre percussionniste Frédéric Piot ?
Il est de la Réunion mais je l’ai rencontré dans un bœuf à Paris. C’est quelqu’un qui a joué notamment avec Paco Séry ou Louis Winsberg avec qui il avait formé le groupe Sixun. On a tout de suite senti qu’on avait quelque chose en commun et on a voulu essayer la formule percu/guitare qu’on ne connaît pas beaucoup. On essaye de donner une couleur plus océan indien que mauricien. Et ça commence à donner quelque chose de formidable, les gens disent « ça envoie, y’a un groove, y’a une pêche, on dirait pas qu’il n’y a que 2 musiciens sur scène. » C’est vraiment le résultat qu’on attendait. Maintenant on va travailler pour aller encore plus loin.

Une conclusion?
Partout où je passe, je crie haut et fort « l’art vaincra ». C’est ma devise.

C’est une belle conclusion. Je vous remercie beaucoup.

Eric Triton sur Myspace

Eric_M

En amateur de musique, Eric Maïolino est auteur-compositeur-interprète, joue de la guitare, pratique le théâtre et assiste à des concerts! (toutes ses chroniques ici)

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