Les univers sons, Musiques ambiantes, mondes imaginaires et autres voix de l’éther

Les univers sons, Musiques ambiantes, mondes imaginaires et autres voix de l’éther

Nous baignons dans un océan de sons, Ocean of sound : Ambient music, mondes imaginaires et autres voix de l’éther, où il suffit de piocher des conversations, des cris d’oiseaux ou le souffle des montagnes, pour les reverser dans un océan virtuel bien plus vaste, l’océan de la création. C’est la vraie fonction, la vraie raison, la vraie vocation de la musique ambient, selon David Toop.

Ce livre résiste. Résiste aux définitions et aux synthèses. C’est peut-être un fourre-tout poétique. Les paragraphes de plusieurs pages y côtoient les phrases minimales. Treize grands chapitres y recouvrent plusieurs dizaines de fragments comme de longs développements. S’entrechoquent dans ce texte intriguant un étrange méli-mélo de titres comme « Ch-ch-ch-ch-ch », « Ma vie dans un trou dans le sol », « Pureté et danger », « La voie lactée »…

Certainement la matière résiste-t-elle avec force. Ce son dont nous David Toop est un concept en effet plutôt vague. En l’occurrence, on en fait de la musique, mais il n’implique jamais nécessairement celle-ci, et le mot « musique » lui-même ne renvoie pas directement, dans ses connotations, à ce son qui est sa source. Les rapports étroits qu’entretiennent son et musique reposent donc une ambigüité première.

Première ambigüité redoublée par la musique elle-même, la musique pratiquée et explorée depuis vingt-cinq ans par D.Toop et qui est le sujet d’Ocean of sound, la musique basée sur le son. Les deux termes se nourrissent là pour exaspérer le trouble de leurs rapports initiaux. Le son est un élément plus que majeur de cette musique aux paradoxales et paroxystiques fondations. Elle porte plusieurs noms : ambient, techno, électronique, new-age…

David Toop retient plutôt ambient, mais il ne recherche pas la catégorisation. Seul l’intéresse, en fait, la matière première qui traverse ces musiques et leur donne sororité : le son. Son propos rejoint donc avec grâce ces musiques nouvelles, mais sans jamais emprunter les chemins d’une analyse compartimentée, froidement et sèchement structurée. L’ambiguïté initialement repérée, comme la diversité des musiques « du son », obligent.

Ocean of sound est une gigantesque métaphore où les quelques rares définitions restent au stade de la méditation spéculative, quand elles ne sont pas affirmations vagues, noyée bien vite dans le foisonnement du texte. Emergent, plutôt, au travers du long voyage, l’attention portée, par de nombreux musiciens depuis plusieurs siècles, à ce fondement, le son, outre les catégories musicales habituelles que sont la composition, la distribution instrumentale, ou la mélodie.

Pointant ainsi diverses émergences d’un traitement plus spécifique du son entant que musique, à moins que ce ne soit de la musique comme figure sonore, Toop fait délicatement surgir la variété immense des réflexions et des expérimentations sur le son. Dans ce déploiement, nourri d’une multitude d’exemples, s’impose la nécessité de la liberté pour l’artiste. Et l’époque actuelle, où Toop pioche la majorité de ses références comme de ses tranches de vie musicienne, offre une infinie possibilité de travailler le son, de le tordre, le triturer pour en faire des expériences musicales inouïes, loin du carrousel commercial dominant.

Grâce aux progrès de la technologie et à l’apparition de l’informatique puis des instruments électroniques comme le synthétiseur, le sampler et le vocoder, ont pu émerger des modes de traitement du son et des textures musicales dont la cohérente unité se déploie dans la variété et l’ampleur. Pouvait alors se former un véritable courant musical : l’ambient. Cette cohérence David Toop ne la retrace pas dans une chronologie. Elle se construit, peu à peu, dans notre esprit qui amalgame inconsciemment les dizaines d’anecdotes, de citations, de récits et de rêves tissés patiemment par Toop. Une image du créateur et de sa subtile création s’est lentement incarnée dans notre cervelle. Elle est réelle et complexe.

Deux fragments de texte en donneront, je crois, la meilleure approximation. « Lors d’une conférence à Cairns, en Australie, un chercheur de l’Association américaine de recherche sur l’art rupestre affirma que les sites préhistoriques de peinture rupestre étaient choisis par les artistes pour la qualité de leur réverbération acoustique. Steven Walker émit l’hypothèse que chaque site révèlerait une correspondance entre les animaux peints sur les murs et la nature de l’écho produit par un son dans cet espace. Dans des grottes telles que celle de Lascaux, où de grands animaux ont été peints, les échos sont assourdissants, tandis que sur les sites où les félins ornent les murs, le niveau sonore des réverbérations est particulièrement bas. » (Ocean of sound p.17)

« On peut trouver une corrélation entre les océans, les îles, les oiseaux, la musique et l’inconscient dans des mythes celtes datant d’avant le IXe siècle. Dans La navigation de Maelduin les voyageurs entendent un murmure confus de voix dans le lointain. En suivant le son, ils finissent par arriver à une île – l’île des Oiseaux parleurs – où des quantités d’oiseaux bruns, noirs et mouchetés crient et parlent des langues humaines. » (Ocean of sound p.285)

Si l’ambition de cet ouvrage est de proposer un morceau de techno-texte, cela semble plutôt réussi. Les fragments s’assemblent mystérieusement pour former un tout qui les homogénéise, tandis que leurs dissemblances figurent les subtiles variations d’une plage musicale, la récurrence des thèmes rappelant les effets de boucle.

Un regret : on aurait aimé découvrir quelle inspiration visuelle peut avoir David Toop et la communauté des musiciens ambients, mais aucune image, aucun tableau, aucun collage n’enrichissent ces pages. La couverture fait, cependant, un peu oublier ce manque. Le paysage lunaire et indéchiffrable quelle offre baigne dans une clarté bleue nuit profonde, suggérant fortement un univers autre, onirique, et pourtant mélancoliquement quotidien.

Toop semble avoir repris l’expérience de Jack Kérouac menée dans son fameux « Sur la route », qu’il écrivit avec le beat du jazz. Dans son texte les boucles de l’ambient naissent et s’effacent pour renaître ensuite ; pour le bonheur de l’auteur, de la musique et du lecteur.

Cet article a été rédigé pour le site Sincever par le rédacteur Ave

Rédactrice/Rédacteur Invité(e)

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