Dans la famille Clark… Sur la corde

Dans la famille Clark… Sur la corde

On a souvent des coup de coeur, et parfois des coup de blues à la lecture d’ouvrages comptant sur la renommée d’un nom, à défaut de vraie valeur. Par principe et pour vous, il n’hésite pas à le dire… Sur la corde…

Bien sûr, il est plus courant de saluer un bouquin; les bons textes évoquant musiques et musiciens nous font rêver, et vous aussi j’imagine. Mais la règle du sentiment est de fonctionner au désir. Et au rejet. Cette fois-ci, l’adrénaline est montée plutôt vers le rejet… C’est une bonne petite colère contre une chose écrite, que beaucoup de gens achèteront sans doute, alors qu’il y a tant de livres à lire.

Le polar est-il héréditaire ? On pourrait le croire, puisque après Mme Higgins Clark, auteur prolifique et reconnu, Carol, sa fille, creuse à son tour le sillon. « Sur la corde », quatrième et dernier ouvrage de la dame, exploite une idée vieille comme la littérature : la possession d’un objet magique, ou supposé tel. Pas mal de romanciers fameux l’ont utilisée avec succès. Edgar Poe dans son scarabée d’or, au siècle dernier, par exemple. Lucius Shepard, aujourd’hui, dans plusieurs nouvelles de son recueil « Zone de feu émeraude ». Elle est plus « naturellement » développée dans le fantastique; la voir apparaître dans un ouvrage policier était plutôt inhabituel et excitant.

C’est Brigid, une jeune et belle chanteuse de country, qui a mérité de l’objet magique. En l’occurrence, un violon offert par un vieil ami musicien. Il porte chance et propulsera son talent vers une renommée méritée, à condition qu’il reste en Irlande, sa patrie. Faute de quoi les pires ennuis attendent celui, ou celle, qui l’exilera. Ainsi en ont décidé les fées qui l’ont béni. Mais les lauriers que Brigid doit cueillir sont dans un festival des jeunes talents, à Nashville, Tennessee. On se délecte par avance en imaginant le sort mystérieux et mauvais qui va frapper l’innocente musicienne.

A partir des pouvoirs prétendus de l’objet, Poe aurait sûrement tissé avec délice une atmosphère hantée, pour mieux dérouler la mécanique d’une intrigue complexe. Shepard, lui, saurait conférer à cet instrument une réelle puissance magique, pour nous entraîner dans une surnaturelle aventure.

Ni atmosphère étrange, ni aventure magique, ni plume véritable, bien évidemment, dans Sur la corde. Bien évidemment, car le style est l’empreinte digitale et l’hameçon d’un roman. Quand il se montre, les brumes deviennent étouffantes et les intrigues de haute volée. Il n’est pas au rendez-vous et Carol Higgins Clark n’y est pas pour rien. Même si, peut-être, J. M. Dulac a la traduction molle du genou. Jugez sur extrait pris au hasard; croix de bois, croix de fer.

« Pendant que Louisa pérorait, Regan observait les autres tables. Bettina était assise entre le séduisant Garret et l’Homme de Paix, Duke à côté d’Angela qui le couvait des yeux.Chappy avait placé Brigid à la “table des médias”, avec les associés de la radio et les deux journalistes de la presse locale. Ils faisaient tous poliment semblant d’écouter Chappy, qui monopolisait la conversation » (p 90) Rien qu’un petit paragraphe et, déjà, une grosse enfilade de qualificatifs plutôt communs : Louisa « pérore », Garret est « séduisant » et Angéla le « couve des yeux », tandis que tous font « poliment » semblant d’écouter celui qui « monopolise » la parole.

Vocabulaire acceptable dans un magazine voué à nous décrire les amours et les fêtes de nos chères élites. Dans un ouvrage ou la vision personnelle et la force de conviction de l’auteur priment, on appelle ça des clichés. Les clichés sont des expressions figées. Mortes d’avoir trop été utilisées, elles n’ont plus la possibilité d’évoluer. Le lecteur les reconnaît avec résignation, car elles sont incontournables dans beaucoup de textes journalistiques, par exemple. Elles vous sautent aux yeux comme la vérole sur le bas-clergé breton; impossible de s’en défaire, à moins d’arrêter de fauter. Tout le monde les trouve ennuyeuses, mais elles grouillent littéralement, et le paradoxe n’est qu’apparent. Elles viennent, en effet, à l’esprit de l’écrivant comme une envie de se gratter et le lecteur les enregistre les yeux fermés…

Mais elles n’ont plus le pouvoir de surprendre, ni de susciter des évocations, des résonances bizarres et touchantes, des sentiments intenses. Elles sont bien usées, elles vivent peu. Elles précèdent l’ennui d’un cheveu… Accumulées dans un livre entier, elles mènent tout droit à l’indigestion.

En bonne démolisseuse, Carol Higgins Clark ne se contente pas du style excitant de la limande déshydratée. Elle utilise aussi la psychologie des profondeurs pour créer des personnages, comment dit-on, éclatants de vérité… Ainsi, le méchant Chappy est « mécontent de tout – y compris de lui-même, ce qui est plus rare » (p 13). Pour le coup, c’est l’utilisation de l’euphémisme-cliché qui est, elle, plus rare. La meilleure copine de l’héroïne est détective privée et l’auteur la suit souvent pas à pas pour mieux nous narrer l’ébouriffante affaire. Comme Brigid elle est jeune et belle. Et si elle excelle dans sa profession, c’est parce qu’elle a « le goût des potins dans le sang ». Personne n’ignore que la quête des cancans est un ressort aussi évident qu’essentiel dans une vocation d’enquêteur, particulièrement s’il s’agit d’une vocation de femme…

Parfois, des retournements bizarres ou des progressions terrifiantes font surnager ce genre de texte. C’est sans compter sur le perfectionnisme de l’auteur qui cantonne obstinément son déroulement entre le fade et le répétitif. L’horreur culmine dans une noyade manquée, ce qui n’est pas, vous en conviendrez, le plus gore des scénarios. Et l’héroïne reçoit, tout au long de l’ouvrage, une flopée de menaces, vraiment terriblement surprenantes : multiples lettres, poupée décapitée et CD écrabouillé.
On le constate, tout cela est d’une originalité rare.

Ainsi évoquée, la country risque d’apparaître comme une musique de poupées Barbie décérébrées, pêlerinant chaque année qui passe à Nashville, qui n’est pas le lieu idéal pour la country, même s’il est le plus connu.

Pour se rafraîchir le moral et le mental on relira James Ellroy, Didier Daeninckx et, sans doute, Jim Harrisson, sauvage embusqué dans le pays profond, où l’état de nature n’a rien de figé. En écoutant peut-être Johnny Cash, un corbeau country qui a encore le bec bien jaune dans son dernier opus, quand il revisite Bono ou Nick Cave. Joyeux Noël.

Sur la corde
Carol Higgins Clark
Le Livre de Poche
ISBN 2-253-17148-4

Cet article a été rédigé pour le site Sincever par le rédacteur Ave

Rédactrice/Rédacteur Invité(e)

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